Réponse à mes lecteurs qui me demandent ce que je pense du livre du Dr William Davis « Pourquoi le blé nuit à votre santé ».

N.B. : Au no 4, je réponds également à ceux qui me demandent s’il est conseillé ou non de consommer des aliments riches en amidon.

1) J’ai beaucoup apprécié le  livre du Dr Davis.  Il s’agit d’un ouvrage bien documenté, principalement lorsqu’il décrit  les méfaits potentiels du blé sur la santé. Il aborde un point auquel je ne me suis pas attardée dans mes livres mais qui a de l’importance, soit les propriétés addictives du blé et le fait qu’il crée chez certains individus « une dépendance qui tourne parfois à l’obsession ».   En fait, un  polypeptide du blé, qualifié par des chercheurs de  « glutéomorphine»,  peut se lier au récepteur de la morphine qui est  un opiacé. Ceci pourrait expliquer que 30% des gens montrent des symptômes que l’on peut qualifier de sevrage lorsqu’ils cessent de consommer des aliments contenant du blé.

2)  Le livre du  Dr Davis m’a permis de découvrir le travail d’analyse  effectué par Denise Minger  (rawfoodsos.com),  à partir des données du Dr Colin Campbell  publiées  dans son livre intitulé « Diet, Life-Style, and Mortality in China » (1990).  Ces  données ont  été utilisées par  le Dr Campbell pour la rédaction de son fameux « best seller »  « Le Rapport Campbell, (2008) » (The China Study, 2006).  Ainsi, au chapitre 10, p. 147-153 du livre du Dr Davis, sous  le sous-titre: « Le Rapport Campbell, ou l’amour aveugle », apparaît  le  travail remarquable de cette jeune femme qui a ré-analysé et  contre-analysé les  données du Dr Campbell concernant précisément la consommation de blé;  suite à l’analyse exhaustive de ces données,  Denise Minger en vint à penser  « que les conclusions incomplètes de Campbell  étaient faussées et que plusieurs de ses découvertes étaient dues à une interprétation sélective des résultats ».  Pour faire une histoire courte, Campbell aurait tu le fait  que la consommation de farine de blé présente  un niveau de corrélation élevé (0,67)  avec les crises cardiaques et les maladies coronariennes.  De plus, Campbell n’aurait pas fait état des corrélations très fortes qui existent entre la consommation de farine de blé et diverses maladies : 0,46 pour le cancer du col de l’utérus, 0,54 pour la cardiopathie hypertensive, 0,46 pour l’AVC, 0,41 pour les maladies du sang et autres hémopathies ainsi que des résultats  mentionnés précédemment en relation avec les maladies cardio-vasculaires.  Denise Minger concluait : « Se pourrait-il que le « Grand Prix » de l’épidémiologie ait accidentellement découvert un lien entre la principale cause de mortalité en Occident et le grain riche en gluten qu’il préfère? L’aliment vital serait-il en fait un aliment mortel? »

Je dois avouer que compte tenu de l’admiration que je porte au Dr Campbell pour l’importance et la qualité exceptionnelle de ses travaux, ce fut un véritable choc de prendre connaissance de ces informations.  Personnellement, je pensais que parce que les études du Dr Campbell étaient basées sur des populations chinoises qui consomment peu de blé comparativement aux Occidentaux,  les résultats essentiellement positifs obtenus concernant le blé,  pouvaient s’expliquer à partir de cette différence.  Je dois dire que  l’expression « Le Rapport Campbell, ou l’amour aveugle » utilisé par le Dr Davis pour présenter le problème, nous rappelle que nous sommes tous humains et que nos convictions peuvent parfois nous aveugler.  Personne malheureusement n’est à l’abri de ce genre d’interprétation et je continue de penser que le Dr Campbell a réalisé globalement un travail scientifique monumental et a contribué de façon exceptionnelle à l’avancement des connaissances sur les effets à long terme de l’alimentation sur notre santé.  De plus, il a eu le courage de dénoncer  le fait que nos institutions, en l’occurrence le gouvernement, le corps scientifique, le corps médical, l’industrie et les médias moussent le profit au détriment de la santé, la technologie au détriment de l’alimentation, et la confusion au détriment de la clarté.

La  réponse que le Dr  Campbell a adressé à Denise Minger, parue sur le blogue de cette dernière, peut  se résumer ainsi :

  • au niveau de la rigueur analytique effectuée,  la critique lui apparaît fondée
  • son livre « Le rapport Campbell » ne montre pas tous les résultats (question de lourdeur de texte vs public cible), ce qui donne flanc à une critique telle qu’exprimée.  Toutefois, l’ensemble des données dont il dit disposer justifie ses recommandations.
  • il manifeste du scepticisme sur les motivations de l’auteure de la critique (en bref, il soulève l’hypothèse que cela provient d’un lobby cherchant à protéger ses intérêts), compte tenu de la compétence qu’elle démontre et de son très jeune âge.
  • Il ne présente aucune nuance  face à son ouvrage original, sans toutefois affirmer qu’il a nécessairement raison sur toute la ligne.

3)  Le  livre du Dr Davis traite, à mon avis, de façon superficielle le problème très important des glycotoxines.  Même si ce dernier  aborde le sujet de la glycation qui mène à la production de glycotoxines appelées également  produits terminaux de la glycation avancée (AGEs : advanced glycation end products), il n’insiste pas suffisamment sur ce sujet compte tenu de son importance dans le développement des maladies inflammatoires chroniques.  Il oublie de plus de nous informer de  la présence de l’acrylamide,  une glycotoxine neurotoxique particulièrement nocive  dans les céréales de blé et apparentées et autres aliments tels  les pommes de terre cuites à haute température.  De plus, alors qu’il a été clairement démontré par de nombreux chercheurs que les protéines d’origine animale, chauffées à partir de 110 degrés C (230F), entraînent la production de glycotoxines , il indique simplement  qu’il faut éviter de cuire les viandes à partir de 170 degrés C, ce qui constitue une température de cuisson qui favorise fortement la production de glycotoxines.  Il induit ainsi  les gens en erreur face à la formation de molécules très nocives pour la santé à moyen et à long terme pour tous, mais particulièrement pour les gens aux prises avec les maladies inflammatoires chroniques.

4)  Le Dr Davis traite également de façon superficielle le problème de l’indice glycémique en dénonçant  la consommation de toutes les céréales et légumineuses sous prétexte que l’amidon favorise une élévation des réponses glycémiques et insuliniques  qui mèneraient à un gain de poids.  Pour lui, les aliments riches en amidon seraient même comparables aux bonbons sans qu’il appuie ses dires sur des données scientifiques.  À propos des aliments riches en amidon, Lindeberg,  2010 (1) et Sinnett, 1977 (2) font remarquer que les groupes ethniques qui consomment de grande quantité d’aliments riches en amidon présentent  une excellente santé.  Cette constatation, selon ces chercheurs, contredit  la notion que l’amidon par lui-même, est une cause d’obésité et de diabète de type 2.  Selon eux, même si la consommation de fortes quantités d’amidon  élève le taux de sucre sanguin après un  repas, la cause principale de l’incapacité de certains individus à limiter l’élévation du taux de sucre sanguin après la consommation d’hydrate de carbone, ce qui mène à une intolérance au glucose, mettrait en jeux d’autres facteurs mal définis.  De plus, plusieurs travaux soulignent, qu’il n’a pas été démontré que la proportion d’hydrate de carbone dans une diète  affecte de façon significative et à long terme le poids corporel.  Une méta-analyse récente, effectuée à partir de 28 études qui comparaient des diètes à index glycémique faible  à d’autres  diètes à index glycémique élevé, a abouti à la conclusion suivante : l’amélioration concernant les taux  de lipides sanguins (LDL-cholestérol ou mauvais cholestérol) était plus importante, fiable et constante quand la diète à index glycémique faible était accompagnée par une augmentation de fibres alimentaires (3). En ce sens,  les aliments riches en amidon que le Dr Davis recommande d’éliminer ou de restreindre de façon drastique, soit  le riz brun, le millet, les légumineuses, les pseudo-céréales telles le sarrasin, la quinoa, l’amarante, le teff, et le sorgho sont des aliments  riches en fibres, et en de nombreux nutriments. De plus, ces grains anciens sont recommandés par de nombreuses études scientifiques pour prévenir et réduire les maladies chroniques (4-7).  J’insiste toutefois qu’il est question ici d’aliments qui ne contiennent pas seulement de l’amidon comme c’est le cas avec les fécules de pommes de terre, de maïs, etc.

Références

1) Lindeberg S.  Food and Western disease– health and nutrition from an evolutionary perspective. Oxford: Wiley-Blackwell, 2010.

2) Sinnett P. The people of Murapin.  Research PNGIoM, editor.  Oxford:EW Classey Ltd. 1977.

3)  Goff LM, Cowland DE, Hooper L, Frost GS, Low glycaemic index diets and blood lipids : a systematic review and meta-analysis of randomised controlled trials.  Nutr Metab Cardiovasc Dis 2013 Jan; 23(1) : 1-10. Doi : 10.1016/j. numecd. 2012.06.002. Epub 2012 Jul 25.

4)  Dixit AA, Azar KM, Gardner CD, Palaniappan LP, Incorporation of whole, ancient grains into a modern Asian Indian diet to reduce the burden of chronic disease. Nutr Rev. 2011 Aug;69(8):479-88. doi: 10.1111/j.1753-4887.2011.00411.x. Review.

5)  Ranilla LG, Apostolidis E, Genovese MI, Lajolo FM, Shetty K,  Evaluation of indigenous grains from the Peruvian Andean region for antidiabetes and antihypertension potential using in vitro methods. J Med Food. 12:704-13, 2009.

6) Bouchenak M, Lamri-Senhadji M, Nutritional quality of legumes, and their role in cardiometabolic risk prevention: a review. J Med Food. 16:185-98, 2013.

7)  Stringer DM, Taylor CG, Appah P, Blewett H, Zahradka P,  Consumption of buckwheat modulates the post-prandial response of selected gastrointestinal satiety hormones in individuals with type 2 diabetes mellitus.  Metabolism. 2013 Feb 25. pii: S0026-0495(13)00037-1. doi: 10.1016/j.metabol.2013.01.021. [Epub ahead of print]

13 Commentaires

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13 réponses à “Réponse à mes lecteurs qui me demandent ce que je pense du livre du Dr William Davis « Pourquoi le blé nuit à votre santé ».

  1. Florence Boudreau

    Merci! par cet article, j’ai eu ma réponse à une question posée préalablement. Je demeure cependant sceptique quand à la consommation des amidons et fécules qui feraient hausser l’index glycémique…plus que les farines tirées des fruits à coque (Amandes etc )J’aurais tendance à croire que le Dr. Davis a raison…Quand je regarde la liste des ingrédients des principaux produits sans gluten (Farines, amidons, fécules, etc) et les taux de glucides qui y sont indiqués, çà m’invite à croire que William Davis pourrait avoir raison…C’est un dossier à suivre…

    Florence

  2. Joh

    Bonjour Mme Lagacé – et merci pour toutes vos analyses et vulgarisation de données scientifiques permettant au plus grand nombre de personnes de pouvoir se faire une opinion éclairée.

    Il me semble important d’apporter un complément d’information sur l’analyse de Denise Minger citée dans votre texte. Les propos que vous rapportez comme étant sa conclusion représentent plutôt un commentaire d’introduction à son étude. Je crois plutôt que son point de vue se résume ainsi:

    Puisque toutes ces variables sont également associées (positivement ou inversement) avec une maladie cardiaque, il est possible qu’elles pourraient se confondre au chiffre « 0,67 » que nous avons cité pour le blé. Se pourrait-il que d’autres « composantes non-grains » de l’alimentation des mangeurs de blé prédisposent ces gens à la maladie cardiaque?

    En lisant son texte, on pourrait le traduire ainsi:

    Voici le problème en regardant le blé et la santé du cœur. En plus de la forte corrélation avec les maladies cardiaques, les régions ou la population consomme du blé disposent d’un certain nombre d’autres facteurs susceptibles d’intervenir également – certains comme agents protecteurs et d’autres comme agents causals.

    Par exemple, la farine de blé est corrélée significativement et inversement avec:
    • Les concentrations plasmatiques de folates (et par conséquent l’état d’homocystéine,)
    • Consommation de poisson et les niveaux de DHA
    • La consommation annuelle de légumes verts
    • Cholestérol HDL
    • Apport en vitamine C

    Et elle est corrélée significativement et positivement avec:
    • Taille, poids et l’IMC
    • Tension artérielle
    • Latitude (comme un possible marqueur de statut en vitamine D)
    • Consommation annuelle de lait
    • Apport en acides gras polyinsaturés

    Puisque toutes ces variables sont également associées (positivement ou inversement) avec une maladie cardiaque, il est possible qu’elles pourraient confondre le chiffre « 0,67 » que nous avons cité pour le blé. Se pourrait-il que d’autres composantes non-grains de l’alimentation des mangeurs de blé prédisposent ces gens à la maladie cardiaque?

    Pour ceux que ça intéresserait, il existe une traduction « française » de l’article de Denise Minger disponible sur: http://clairetlipide.wordpress.com/traductions/critique-du-rapport-campbell-par-denise-minger/

    merci encore,
    Joh

  3. Ann

    Un immense merci. J’attendais avec impatience vos commentaires sur ce livre, et ils sont très éclairants.

  4. Suzanne Pelletier

    Suite à un cancer du sein, le médecin me prescrit de l’Aramidex pour prévenir la récidive. J’en prends depuis seulement 5 mois et j’éprouve des douleurs articulaires de plus en plus prononcées. Je suis décidée à adopter le régime hypotoxique. Est-ce que ce sera suffisant pour éliminer l’effet secondaire principal de ce médicament?
    Suzanne

    • Jacqueline

      Pourquoi ne pas discuter avec votre médecin et lui demander de vous prescrire un autre médicament qui vous conviendrait mieux. L’alimentation hypotoxique devrait également vous aider.

  5. Dominique Fournel

    Merci beaucoup, Madame Lagacé, de nous éclairer sur l’ouvrage du Dr Davis. Le point 4 était l’une de mes principales préoccupations et vous me rassurez beaucoup. Après la lecture de ce livre, je me sentais découragée! Je préfère me fier à votre bon jugement et à la rigueur scientifique dont vous faites preuve. Bien sûr, comme vous le mentionnez, il est difficile d’être objectif à 100%, tout le temps, puisque nous sommes des humains. Mais le ton sensationnaliste et paternaliste du Dr Davis nuit à sa crédibilité: vulgariser ne veut pas dire adopter une attitude et une écriture de gourou!!! Malheureusement, les « docteurs » américains ont tendance à exagérer pour être entendus… Votre analyse et la façon dont vous la livrez reflètent bien votre probité intellectuelle: c’est ce qui fait adhérer tant de gens à vos propos!!! Bravo et merci encore!

  6. Diane Thibault

    Merci beaucoup pour cette réponse. Il est si difficile de s’y retrouver quelques fois. Étant moi-même infirmière, j’ai une tendance naturelle à apporter crédit aux médecins. Toutefois après avoir lu le livre du Dr. Davis je n’ai pas mis en pratiqe ses condeils culinaires. J’en suis revenue à la diète hypotoxique. Lorsque je mange des produits contenant du blé, mon système digestif me le fait sentir dans les plus brefs délais. Avec la diète hypotoxique, mes douleurs osseuses ont considérablement diminuées (arthrose) et mon taux de cholestérol sanguin s’est amélioré. Mon LDL s’est abaissé mais mon HDL n’a pas augmenté. Merci pour votre travail magnifique. Lire vos textes est motivant.
    Diane T

  7. Phelippeau Jean-Pierre

    Un grand merci pour cet article faisant la synthèse des connaissances à ce jour et qui amène un »non spécialiste » comme moi à une meilleure compréhension du sujet,car je n’aurais pas eu le temps de lire tous ces livres sur le sujet et de tout comprendre.
    En rémission d’une maladie auto-immune et pratiquant le régime hypo-toxique depuis 14 ans,je sais que Jean Seignalet serait heureux de savoir qu’il a ouvert la voie, lui qui était avide de connaissances.Cela me console(en petite partie seulement) de sa disparition prématurée,lui qui disait que les chercheurs d’aujourd’hui »se haussent sur les épaules de Darwin »?, des prédécesseurs.

    Mais…..les chercheurs indépendants vont plus vite que la pensée unique et les habitudes.

  8. EN CONCLUSION Y A-t-IL DES CEREALES MANGEABLES PAR UN DIABETIQUE TYPE 2 .

    • Jacqueline

      Je pense que si vous relisez attentivement l’article d’où vous posez la question, vous aurez votre réponse.

  9. Marc Robert

    J’aime beaucoup ces résumés et commentaires sur les sujets scientifiques de l’alimentation. Nous n’avons pas tous le temps de lire de tels ouvrages et surtout les connaissances pour les apprécier à leur juste valeur (bonne ou moins bonnes)
    Marc
    Sherbrooke

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